BRAUN père et fils : de Verdun à Verdun 15 avril 1916
Les premières pages de l'Album de la guerre européenne de René Verney renferment un portrait individuel du commandant Lucien Braun amicalement dédicacé. Sa place en tête du recueil affirme les liens unissant les deux hommes tout en constituant un hommage à l'ancien chef d'escadron du 3e groupe du 43e RAC.
Ce portrait a été réalisé par un photographe professionnel entre juillet et décembre 1916. Lucien Braun porte au bras gauche les trois barrettes soulignant sa participation au conflit depuis 1914 et arbore sur la poitrine la croix de guerre étoile d'argent (il est cité à l'ordre de la division le 3 juin 1916) ainsi que la décoration d'officier de la Légion d'honneur (il est promu dans ce grade le 12 juillet 1916). Il revêt la tenue bleu horizon de commandant du 43e RAC (le 22 décembre 1916, il est promu lieutenant-colonel à titre temporaire et quitte cette unité pour la 168e DI : voir informations connexes dans Index des noms de personnes).
Si le cliché peut être ainsi facilement documenté, il ne révèle pourtant rien du drame personnel qui vient de toucher l'officier d'artillerie sur le champ de bataille de Verdun où lui-même et ses deux fils, jeunes officiers du 36e RI et du 47e RAC sont engagés face au Fort de Douaumont, dans le secteur du bois de la Caillette.
Nous tentons ici de retracer ce parcours, qui illustre le sacrifice de toute une famille au service de la patrie et dont le destin a été scellé à Verdun le 15 avril 1916.
Portrait du Commandant Lucien Braun, chef d'escadron du 3e groupe du 43 RAC juillet-décembre 1916 (p. 4)
au verso dédicace signé L. Braun, datée de janvier 1917 adressée au Dr René Verney.
Lorsque le 29 mars 1916, le commandant Braun gagne Verdun avec son unité (voir Restitution du journal de marche partie V), il rejoint un secteur qui lui est familier : une ville de garnison dans laquelle il a été affecté pendant plus de cinq ans entre 1893 et 1898 et où ses deux enfants ont vu le jour en 1895.
Verdun (Meuse) les fossés, avril -mai 1916, p. 120
Verdun (Meuse) les fossés, avril -mai 1916, p. 120
Verdun (Meuse) les fossés, avril -mai 1916, p. 121
Verdun (Meuse) les fossés, avril -mai 1916, p. 122
Verdun (Meuse) quais de la Meuse et la cathédrale, avril -mai 1916 p. 135
Verdun (Meuse) maisons détruites [place Thiers], avril-mai 1916, p. 121.
(plus d'infos consulter : Patrimoine, destructions et "tourisme de guerre")
Samuel Pierre BRAUN est en effet né à Verdun le 13 février 1895, comme son frère cadet Robert né le 25 décembre 1895.
Leurs parents, Lucien BRAUN (Paris 1864 – Fontainebleau 1940) et Palmyre COBLENTZ (Mulhouse 1870 - 1942 ?) se sont unis à Paris un an plus tôt. Leur père, jeune officier d'artillerie, polytechnicien (1882) et ancien élève de l'école d'application de l'artillerie et du génie, est alors en garnison à Verdun en tant que capitaine en 2e au 5e Bataillon d'artillerie à pied (adjoint à la direction de Verdun). Au gré des affectations, la famille Braun réside ensuite au Mans (1901-1909), à Vincennes (1909-1912), puis à Rouen à partir de 1912 lorsque Lucien Braun est versé au 43e RAC en tant que chef d'escadron, avant de s'installer avec son régiment à Caen au cours du premier semestre 1914.
Le jeune Samuel Pierre quant à lui, après avoir fréquenté le collège Jacques Aymiot de Melun, le lycée Poincaré de Nancy, le lycée Hoche à Versailles, puis le lycée Montesquieu au Mans, achève ses études secondaires au Lycée Pierre Corneille de Rouen.
C'est dans cette ville, le 10 octobre 1913, qu'il s'engage pour 8 ans, incorporé au titre de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr (promotion "Croix du drapeau"). Le 15 août 1914, il est affecté au 36e RI (casernement à Caen) au grade de sous-lieutenant. (voir Registre de matricule, bureau de Caen, classe 1915, matricule n°970).
Le père et le fils sont donc officiers de la 5e Division d'infanterie (Division Mangin) et participent aux mêmes opérations depuis le début du conflit, comme ici à Verdun en avril 1916.
Précisément, le 15 avril 1916, les batteries du 43e RAC en position au sud du Fort de Douaumont et agissant sur le secteur du bois des Caillettes, sont alors placées dans leur ensemble sous les ordres du père (il assure le commandement de l'AD5 du 4 au 25 avril).
Cartographie du secteur du "Bois des Caillettes" (détail) établie par l'état-major de la 5e DI (04/04/1916).
Source : JMO 3e groupe du 43e RAC Mémoire des Hommes (SHD) 26N980/22
Elles soutiennent par plus de 28 000 tirs de 75 l'assaut du 36e RI auquel prend part le fils, promu lieutenant le 26 décembre 1915 et dont l'action est saluée par une citation posthume à l'ordre de l'armée.
Samuel Pierre Braun : "Vaillant officier chargé de la direction d'une attaque, le 15 avril 1916, a brillamment entraîné sa troupe à l'assaut des tranchées ennemies puissamment organisées et vigoureusement défendues. A été très grièvement blessé au cours de cette action". Pour l'ensemble de l'opération consulter le compte-rendu de la journée dans le JMO de la 5e DI 26N268/9.
Mortellement atteint, il est en effet évacué à l'hôpital militaire de Verdun où il décède quelques heures plus tard, alors que vient de lui être décernée la croix de chevalier de la Légion d'honneur (Base Léonore dossier LH/353/68). Il avait 21 ans.
Natif de Verdun, son nom figure sur la plaque commémorative de la synagogue qui rend hommage aux membres de la communauté israélite morts pour la France. Il est inhumé dans la nécropole nationale 'Faubourg Pavé' carré des officiers tombe 51.
Le même jour, son frère Robert BRAUN sous-lieutenant affecté à l'état-major du 1er groupe du 47e RAC, unité rattachée à la 14e DI, attend à Lempire (Meuse) de monter en ligne pour une seconde fois sur Verdun afin de participer à la défense du fort de Vaux (voir historique régimentaire). Dans la nuit du 25 au 26 avril, son unité relève le premier groupe du 43e RAC, au nord du bois de la Caillette.
Pour son action du 1er mai 1916 en tant qu'observateur en 1ère ligne, sur les lieux-même où son frère a trouvé la mort quinze jours auparavant, il est cité à l'ordre de la division.
Le jeune homme, s'est engagé volontairement à Caen pour 8 ans le 12 août 1914 au titre de l’école polytechnique. Il est incorporé le 13 août au 43e RAC au grade de canonnier 2e classe. Dès le 17 août, il passe au 22e RAC et est nommé brigadier le 25 octobre 1914, avant d'être affecté au 17e RAC le 11 novembre 1914. Promu sous-lieutenant à titre temporaire, il passe au 47e RAC le 28 janvier 1915 (voir Registre de matricule, bureau de Caen, classe 1915, matricule n°969).
Nommé sous-lieutenant à titre définitif le 1er juin 1916 et affecté à l'état-major du 3e groupe du 47e RAC, il est désigné pour suivre les cours d’instruction spéciale de Fontainebleau le 15 novembre 1916. De retour dans son unité, il est blessé dans le secteur Cauroy-lès-Hermonville (Marne) le 16 avril 1917 au cours d'une mission de renseignement et reçoit une citation à l'ordre du Corps d'armée. Promu lieutenant à titre définitif le 1er juin 1917, il passe au 121e régiment d’artillerie lourde le 1er juillet 1917. Une nouvelle fois cité à l'ordre de la division pour son action du 18 au 26 juillet 1918 entre la Marne et l'Ourq.
Passé au 106e régiment d’artillerie lourde, il entre à l’école polytechnique le 12 mars 1919 mais, grièvement malade, il décède à 24 ans quelques semaines plus tard le 20 avril 1919 et est inhumé à Paris, cimetière Montparnasse.
Le lieutenant-colonel BRAUN et son épouse désormais privés de descendance, se retirent après la guerre à Caen, 21 rue de l'ancienne comédie, Lucien BRAUN s'éteignant à Fontainebleau le 18 mars 1940. Palmyre COBLENTZ sa veuve est alors âgée de 70 ans.
Le journal L'illustration à la planche 434 de son Tableau d'honneur de la guerre, a publié le portrait de Lucien Braun associé à celui de son fils Samuel Pierre BRAUN, lieutenant au 36e Régiment d'infanterie.
L'Illustration - Tableau d'honneur de la guerre pl. 434 (extrait)
Pour accéder à l'ensemble des clichés de l'Album de R. Verney sur lesquels figure Lucien BRAUN voir : Index des noms de personnes.