Raymond Leconte, capitaine au 43e RAD, journal 1939-1940
Journal de campagne et de prisonnier de guerre
(1939-1940)
de Raymond Leconte, capitaine de réserve au 43e R.A.D.
Carte d’ancien combattant de Raymond Leconte, délivrée en 1931
(Archives départementales du Calvados 3R/494)
INTRODUCTION
Dans le cadre de la collation des éléments documentaires relatifs au 43e régiment d’artillerie que nous avons entrepris, il nous a été permis d’accéder via le portail en ligne des archives départementales du Calvados, à une source inédite conservée au sein d’un fonds familial transmis en 2018 à l’institution (AD 14, Archives familiales Leconte cote 151J/1 à 18).
Il s’agit du Journal de campagne et de prisonnier de guerre du capitaine de réserve Raymond Louis Leconte (Montoire-sur-Loir 1898 – Caen 1965), commandant la 3e batterie du 43e R.A.D. durant la seconde guerre mondiale. Le lot auquel il appartient est ainsi présenté dans la notice associée (AD 14 cote 151J/5) :
Journal de campagne et de prisonnier de guerre (1939-1941), carnets de notes, vie au camp (brochures, instructions, listes de contrôle, menus, programme de pièces de théâtre), correspondance officielle (1941-1945), procédure et correspondance pour la libération de Raymond Leconte (1940-1941), bon de souscription à l'emprunt national (1917).
La numérisation de l’intégralité de son premier carnet de notes couvrant la période du 1er septembre 1939 au 31 décembre 1940, est désormais mise en ligne (113 médias). Sa consultation a rapidement révélé l'importance de sa valeur documentaire pour une parfaite approche du parcours du 43e régiment d'artillerie durant la seconde guerre mondiale, dernière phase de l'histoire régimentaire. Mobilisé le 1er septembre 1939 sous la dénomination de 43e régiment d'artillerie divisionnaire (43e R.A.D.), l'unité contrainte à la reddition le 21 juin 1940, n'est en effet pas reconstituée à l'issue de la Bataille de France.
En raison de la richesse et de la précision des informations mises à disposition par le capitaine Raymond Leconte, il nous est apparu utile de proposer une retranscription intégrale de son journal, destinée à en faciliter la consultation et à permettre son exploration en recherche plein texte. Cette page est ainsi consacrée à la présentation de ce document et à la mise en contexte du récit. Elle se développe en trois parties, la première consacrée à l'auteur du document, la seconde à la présentation du carnet, la troisième à l'organisation du récit. Elle a également pour fonction de permettre l'accès à :
la retranscription intégrale du journal
Trois index documentaires établis à partir des occurrences relevées dans le corps du texte s'y associent, pour en faciliter la contextualisation :
Index des abréviations militaires
Raymond Leconte, administrateur de biens à Caen, capitaine de réserve au 43e R.A.D.
Raymond Louis Leconte est né à Montoire-sur-Loir (Loir-et-Cher) le 25/08/1898, son père, Emile Ernest Louis Hyppolite Leconte, 34 ans (Saint-Léger-des-Aubées 1864 - ?), est chef de district aux chemins de fer de l’Etat à Montoire depuis 1898 (registre de matricules, bureau de Chartres, classe 1884, matricule n°443). Sa mère, Fernande Ernestine Victoire Dossin, a 23 ans (Clécy 1874 - Paris 1957). Il a une sœur, Denise Marie Berthe, également née à Montoire le 27/08/1901, décédée à Granville (Manche) en 1985.
En 1915, son père est nommé Inspecteur de la voie de la compagnie des chemins de fer de l’Etat (J.O. du 24/08/1915) et s’installe à Caen. Le frère cadet de ce dernier, Henri Charles Elie Leconte (Les Bordes 1872 - Montmorency 1965) également cadre des Chemins de fer de l’Etat, y réside depuis 1910 (registre de matricule, bureau de Chartres, classe 1892, n°904).
Le 5 décembre 1916, alors que ses parents sont domiciliés 88 rue Basse à Caen (Calvados), Raymond Leconte, étudiant, s’engage à 18 ans pour quatre ans à la mairie de Caen, incorporé comme simple canonnier conducteur au 43e régiment d'artillerie de campagne (cf. reg. matric.). Nommé au grade de 1er canonnier conducteur le 27/08/1917, il arrive au front le 18/09/1917, affecté à la 21e batterie du 243e R.A.C. (sur la constitution du régiment voir sur ce site : Le 43e RA, 1914-1918) qui est alors en position face au Chemin des Dames (Aisne) (voir p.8-9 de l’Historique du 243e R.A.C.).
Promu brigadier le 17/11/1917 (voir JMO régimentaire 26 N 1050/2), il est intégré à l’Ecole militaire d’artillerie de Fontainebleau du 02/04/1918 au 20/07/1918. Le 24/07/1918, il est élevé au grade d’aspirant à titre temporaire et affecté le 15/08/1918, au 3e groupe du 243e R.A.C. 29e batterie, alors que l’unité est en position dans le secteur de Rougemont (Doubs) (voir p.24 de l’Historique du 243e R.A.C.). Le 01/11/1918, il est blessé par éclat d’obus durant l’offensive du franchissement de l’Aisne lancée dans le secteur de Vouzier à laquelle participe 243e RAC (voir p.27-28 de l’Historique du 243e R.A.C. et JMO régimentaire 26 N 1050/4).
Promu au grade de sous-lieutenant d’active à titre temporaire le 15/01/1919, il est affecté à la 22e batterie du 243e RAC puis à l’état-major du 3e groupe du régiment. Aux armées jusqu’au 19/07/1919, puis à l’intérieur à compter du 20/07/1919, il est renvoyé dans ses foyers le 05/12/1920 et affecté dans la réserve de l’armée active au 43e RAC.
Cité à deux reprises à l’ordre du 243e RAC en avril et octobre 1918, puis cité à l’ordre de la 53e D.I. en février 1919, il est titulaire de la Croix de guerre.
Etudiant en droit, domicilié comme ses parents à Rouen (son père est alors sous-chef de service des voies), le 02/02/1921, il épouse à Caen Simonne Jeanne Lucienne Letellier (Caen 1901 – Caen 1995). Alors que Raymond Leconte est toujours étudiant, le couple qui réside à Clécy (Calvados) chez l’oncle maternel de R. Leconte, Ferdinand Marcel Dossin, donne naissance à leur premier garçon, Claude Paul Emile né à Caen le 02/01/1922 au domicile de ses grands-parents Letellier au n°3 de la rue Lebailly.
A partir de 1923 Raymond Leconte réside définitivement à Caen, tout d’abord rue des Jacobins au n°40bis, puis au n°2 en 1929, enfin en 1932 au n°1 Place Malherbe, le couple donnant naissance à Caen à un second fils, Philippe François le 30/11/1927. Professionnellement, Raymond Leconte licencié en droit, s’engage dans une carrière d’administrateur de biens au côté de son beau-père Paul Lucien Letellier, alors âgé de soixante ans.
Affecté dans la réserve au 3e Bataillon d’ouvriers d’artillerie le 19/10/1922, il est promu au grade de lieutenant de réserve le 27/02/1924. Réaffecté au 43e R.A.D. le 22/04/1927, puis au Centre de mobilisation d’artillerie n°3 en 1928, il est promu au grade de capitaine de réserve le 18/12/1925. Il effectue en 1934 et 1937 deux périodes d’exercices de quinze jours à Caen puis, en 1938, participe à une période d’exercices de deux mois et demi au camp de Mailly destinée aux commandants de batterie.
Parallèlement, il est élevé au grade de chevalier de la Légion d’Honneur par décret du 31/12/1930 (voir son dossier base léonore) et reçoit en 1936 la Croix du combattant volontaire et la Croix du Service militaire volontaire.
Faire-part de décès de Robert Letellier, beau-frère de R. Leconte (Le Moniteur du Calvados, 19/01/1929).
Le 1er septembre 1939, alors que son beau-frère Pierre Léon Jean Letellier (Caen 1912 - Saint-Mandé 1998) est mobilisé en tant que lieutenant au 7e régiment de spahis, Raymond Leconte est affecté au grade de capitaine, au 43e régiment d’artillerie divisionnaire, dont le dépôt se situe quartier Claude Decaen à Caen (voir sur ce site : Le 43e RAC : de Rouen à Caen 1911-1940).
Le régiment est alors commandé par le colonel Tisnes. Raymond Leconte assure le commandant de la 3e batterie relevant du 1er groupe du 43e R.A.D. placé sous les ordres du capitaine Stievenard et composé des 1ère, 2e et 3e batteries et d’une colonne de ravitaillement (C.R.1).
Embarquant avec sa batterie hippomobile en gare de Caen le 11 septembre 1939, le capitaine Leconte ne bénéficie durant la guerre que deux courtes permissions, l’une en décembre 1939, l’autre en mars 1940. Fait prisonnier le 21 juin 1940 à l’issue de la Campagne de France, il n’est de retour à Caen que le 17 août 1941.
Cité à l’ordre du régiment (43e R.A.D.) pour son action le 17/06/1940 et titulaire de la Croix de Guerre 39-45, il est élevé par décret en date du 21/12/1951, au rang d’officier de la légion d’honneur. Il possède alors le grade de chef d’escadron d’artillerie de réserve de la 3e région militaire et assure la présidence des Officiers de Réserve du Calvados, alors qu’il poursuit sa carrière d’administrateur de biens (successeur de MM. Badin et Letellier), son cabinet étant situé au n°1 place Malherbe à Caen. Il décède à Caen le 15/02/1965 à l’âge de 67 ans.
Papier à lettre à en-tête de Raymond Leconte 1952 (dossier Léonore)
Son fils Claude Leconte (Caen 1922 - Tours 2011) a épousé à Caen en 1943, Simonne Jeanne Marie Guillain (Ouistreham 1920 - Tours 2018). Tous les deux sont alors internes à l’hôpital de Caen, Claude Leconte exerçant plus tard comme gynécologue obstétricien à Tours aux cotés de son épouse. Il s’agit des parents du cinéaste Patrice Leconte, né à Paris en 1947 qui a remis avec sa sœur et ses frères (Véronique, François et Antoine) les documents émanant de leurs grands-parents aux Archives départementales du Calvados en 2018.
Publication de mariage de Claude Leconte et Simonne Guillain (L'Ouest-Eclair éd. Caen 28/12/1943, p.2)
Le carnet : journal d’un combattant et prisonnier de guerre du 43e R.A.D. (1939-1940)
Le document (AD14 151J/5) se présente sous la forme d’un livret relié de 10 x14 cm comportant 226 pages sous couverture cartonnée toilée. Il est composé d’une part, de 182 pages à petits-carreaux, formant le carnet de note à proprement parler, qui précède un almanach allemand de 34 pages imprimées (AD14 151j/5 n°091b à 151j/5 n°113a) se terminant par les calendriers des années 1940 et 1941. La partie manuscrite du document, comporte une page de titre datée de novembre 1940, initialement rédigée au crayon mais surlignée à l’encre.
Le corps du texte tout d’abord rédigé au crayon ne comporte que quelques éléments surlignés à l’encre à sa première page, qui porte également le cachet de contrôle de l’Oflag VI A (AD14 151j/5 n°002b). A partir de la page 40 ou débute la relation des faits à la date du 1er février 1940 (AD14 151J/5 n°021a), le récit est désormais rédigé à l’encre, un second cachet contrôle de l’Oflag VI A étant également apposé page 163 (AD14 151J/5 n°082b).
Page de titre du Journal de campagne et de prisonnier de guerre (1939-1941) de Raymond Leconte
(AD14 151J/5 n°001)
Les feuillets manuscrits se développent à la façon d’un journal relatant jour après jour, du 1er septembre 1939 au 31 décembre 1940, tout d’abord les faits marquants, mouvements et opérations militaires opérés par la 3e batterie du 43e R.A.D., de la mobilisation jusqu’à la reddition de l’unité le 21 juin 1940 (AD14 151J/5 n°002 - 151J/5 n°049a). La relation permet ainsi au plus près des combattants d’approcher le parcours de l’unité d’artillerie associée à la marche de la 6e division d’Infanterie à laquelle elle est rattachée, durant la « Drôle de guerre » (septembre 1939 - avril 1940) et la « Bataille de France » (mai-juin 1940).
La forme répond à l’esprit de synthèse sollicité pour la rédaction des JMO régimentaires. S’écartant néanmoins d’un simple compte-rendu factuel, les notes s’enrichissent d’éléments plus anecdotiques rendant notamment compte des liens d’intimité existant entre officiers de la division, nés des multiples rencontres se déroulant tant sur les positions que dans les cantonnements.
Les pages suivantes consacrées à sa détention et aux conditions de vie auxquelles il est soumis en tant que prisonnier de guerre (AD14 151J/5 n°049a - 151J/5 n°076b), ont un caractère beaucoup plus personnel. Elles ont néanmoins une portée collective, indissociable des relations privilégiées qu’il entretient avec un cercle d’officiers de tous horizons auquel il s’associe notamment dans des occupations collégiales très structurées, organisées par les prisonniers eux-mêmes.
A partir du 22 juin 1940, Raymond Leconte poursuit ainsi la tenue quotidienne de son journal rendant compte de la concentration des officiers tout d’abord à Nancy, suivie de leur transfert le 22 juillet 1940, au sein de l’Oflag VI A de Soest en Westphalie. La recension s’achève à la date du 31 décembre 1940, alors que sa détention s’y poursuit jusqu’en août 1941. Il est utile de préciser que « La suite de ces notes se trouve dans mon carnet à couverture verte. » document qui n’est pas ici transcrit.
Les dernières pages du carnet, sont constituées tout d’abord d’éléments de synthèse intéressant les conditions dans lesquelles se sont engagés le repli et la reddition de son unité en juin 1940 (les mouvements s’opérant de nuit, on notera un décalage calendaire d’une journée entre le corps du récit et la synthèse) (AD14 151J/5 n°077b - 151J/5 n°081b). Vient ensuite la transcription de certificats établis en captivité destinés à l’administration militaire française (AD14 151J/5 n°082a - 151J/5 n°082b), suivis de la transcription d’un article du lt Dubois, officier de liaison du 119e R.I. à l’I.D.6 extrait du journal Le Trait d’union du 07/08/1941 (AD14 151J/5 n°083b - 151J/5 n°085a). Enfin, le carnet s’achève par un succinct répertoire d’adresses (AD14 151J/5 n°086b - 151J/5 n°089b).
Afin de faciliter l’accès au contenu de ce journal, nous proposons dans les lignes suivantes un chapitrage détaillé avec un résumé des principales phases de l’action, développement destiné à favoriser la compréhension du déroulé du récit.
I - Drôle de Guerre, 1er septembre 1939 – 9 mai 1940
La 6e Division d’infanterie, placée sous les ordres du Général Lucien, est une division de réserve constituée d’unités mobilisées dans la 3e région militaire (Rouen). A l’exclusion du 43e R.A.D., les régiments la constituant, dissous entre les deux guerres, ne sont reformés qu’à la mobilisation en septembre 1939, sous la forme de régiments de réserve A type Nord-Est : 36e R.I., 74e R.I., 119e R.I. et 13e groupe de reconnaissance de division d’infanterie (G.R.D.I 13, créé par le centre mobilisateur de cavalerie n°3). Il doit être noté que l’artillerie divisionnaire de la 6e D.I. ou A.D.6., commandée par le colonel Bailly, dispose également d’un régiment d’artillerie lourde (243e R.A.L.D. placé sous les ordres du colonel Malassinet), nouvelle unité mobilisée à Cherbourg à partir des 5e et 6e groupes d’artillerie lourde relevant depuis 1924 du 43e R.A.D. (voir sur ce site : Le 43e RAC : de Rouen à Caen 1911-1940).
La 6e D.I. bien qu’elle soit attachée en septembre 1919 à la 3e armée, affectée à la défense de la ligne Maginot dans la région fortifiée de Metz, est tout d’abord dirigée en septembre 1939, vers le camp de Sissonne (Aisne) pour sept semaines d’instruction et d’exercices. A la fin du mois d’octobre, elle est ensuite appelée à renforcer la 9e armée qui vient d’être créée à partir du Détachement d’armée des Ardennes, pour la défense de la frontière Belge. Les unités de la 6e D.I. prennent alors position durant deux mois au nord d’Hirson (Aisne). Ce n’est qu’à la fin du mois de décembre qu’elle rejoint la 3e armée en Moselle. Les régiments d’infanterie et d’artillerie prennent alors une part active de janvier à mars 1940, dans la formation d’un Détachement Avancé de Soutien qui reçoit le baptême du feu en avant de la ligne Maginot (secteur fortifié du Boulay). Ils bénéficient ensuite d’une période repos et d’instruction de cinq semaines dans la Woëvre où ils sont soudainement engagés dans la « Bataille de France » au matin du 10 mai 1940.
Mobilisation à Grentheville (Calvados), 1er-10 septembre 1939
Raymond Leconte offre des informations inédites sur l’organisation de la mobilisation du 43e R.A.D. qui débute avec son arrivée au dépôt, le samedi 2 septembre à 8 heures, tout en ayant fait l’objet d’une préparation les jours précédents. Nous apprenons ainsi que la mobilisation du 1er groupe du 43e R.A.D. auquel appartient sa batterie se déroule non pas au sein du quartier d’artillerie Caude Decaen à Caen, (centre mobilisateur d’artillerie n°3), mais à 5 km au sud-est, à Soliers pour l’Etat-major du groupe et sa section de ravitaillement, à Four pour la 1ère batterie et à Grentheville pour les 2e et 3e batteries.
Mobilisation du 1er groupe du 43e R.A.D. (Fonds de carte Ign 1950 Géoportail)
Il donne de nombreux détails concernant la composition de sa batterie qui ne comprend que 25 hommes d’active sur un contingent de 123 sous-officiers et canonniers, encadrés par trois officiers, dont deux issus de la réserve (lui-même avec le grade de capitaine et un sous-lieutenant) accompagnés d’un second sous-lieutenant terminant son service actif. Il en va de même des 120 chevaux parmi lesquels une vingtaine seulement d’active et une centaine issus de la réquisition, rassemblés sur le polygone du quartier d’artillerie. Le transport des éléments d’active s’effectue dès le dimanche 3 septembre de Caen vers Grentheville, jusqu’à la ferme située au n°10 route de Solier (D 230) où se déroule la mobilisation progressive des réservistes, la batterie étant définitivement formée dès le vendredi 8 septembre.
L’organisation précise de la batterie y est rapportée avec un recensement nominatif des hommes et leur répartition au sein des 6 pelotons de pièce la composant, ainsi que sa dotation en véhicules hippomobiles, armement et munitions embarqués. Le relevé nominatif des officiers composant son unité de rattachement est également d’un apport important, au regard de la relation étroite que ces hommes vont entretenir durant les dix mois de campagne, et pour certains d’entre eux durant leur captivité.
Phase d’entrainement à Sissonne (Aisne) et d’instruction à Seraincourt (Ardennes), 11 septembre – 22 octobre 1939
Le 11 septembre 1939, l’unité embarque par voie ferrée à Caen pour stationner durant quatre semaines aux environs du camp de Sissonne (Aisne) où la 6e D.I. se regroupe pour une période d’entrainement. La batterie débarquée à Novion-Porcien (Ardennes), cantonne tout d’abord au Radois (commune de Seraincourt, Ardennes), puis à Forest (commune de Fraillicourt, Ardennes). Durant la seconde partie du mois de septembre, elle participe au camp de Sissonne, situé à une vingtaine de kilomètres de ses cantonnements, à des exercices de tir (école à feu) et une manœuvre divisionnaire. En octobre, des cours d’instruction sont dispensés aux hommes et sous-officiers dans les cantonnements, et à Seraincourt pour les officiers.
L’état d’esprit régnant alors, peut être résumé à partir d’une interpellation du colonel Tisnes, chef de corps du 43e R.A.D. datée du 7 octobre 1939 : « Qu’est-ce qui aurait pu prévoir, dit le colonel, le 2 septembre dernier, qu’un mois après, nous serions en train de dîner tranquillement dans un cantonnement ; drôle de guerre n’est-ce pas Leconte ? ».
Phase d’entrainement et d’instruction de la 3e batterie du 43e R.A.D. du 12/09 au 22/10/1939
(Fond de carte Ign Géoportail).
Frontière Belge région d’Hirson (Aisne), 24 octobre – 26 décembre 1939
Dans la nuit du 22 au 23 octobre, le 43e R.A.D. se dirige par route pour prendre position durant deux mois, face à la frontière Belge au nord d’Hirson (Aisne), la 6e D.I. venant en renfort à la 9e armée, en charge de la ligne de défense entre les secteurs fortifiés de la ligne Maginot de Maubeuge et de Montmédy. La 3e batterie cantonne tout d’abord aux Routières à Origny-en-Thiérache (Aisne) poursuivant exercices et manœuvres tout en organisant des prises de position à Cocréaumont puis à la Bovette à Saint-Michel-en-Thiérache (Aisne). Enfin du 27 novembre au 10 décembre, est assurée la relève du 29e R.A.D. (A.D.4) en forêt d’Anor (Nord). Durant toute cette période qui voit la nomination du Cdt Debroise à la tête du 43e R.A.D., le colonel Tisnes étant nommé à l’A.D.6, l’artillerie divisionnaire ne prend part à aucun combat, les seules pertes répertoriées par Raymond Leconte prenant la forme d’un relevé nominatif des chevaux, auxquels il porte depuis la mobilisation, une attention toute particulière.
Dès la fin novembre interviennent les premières permissions. Tout d’abord réservées aux hommes d’active, elles sont rapidement plus largement accordées, Raymond Leconte bénéficiant ainsi d’un premier congé du 16 au 28 décembre 1939.
Frontière Belge au Nord d’Hirson cantonnement et positions de la 3e batterie du 43e R.A.D.
du 24/10 au 10/12/1939 (Fond de carte Ign Géoportail).
-Sur le Détachement d’Armée des Ardennes voir la page consacrée sur le site Wikimaginot.
-Cartographie des ouvrages de défense du secteur, voir la page consacrée sur le site Wikimaginot.
- MARY Jean Yves, HOHNADEL Alain, SICARD Jacques Hommes et ouvrages de la ligne Maginot - Tome 3, Histoire & Collections éd., 2003.
-DEPRET Julien Le Nord, frontière militaire. Tome 2 L'organisation défensive de Dunkerque à Mézières - 1919 1940. Salomé : J. Depret éd., 2005.
Frontière Lorraine, secteur de Boulay (Moselle), 27 décembre 1939 – 17 mars 1940
Durant la permission de Raymond Leconte, les unités de la 6e D.I. font mouvement, quittant la frontière Belge pour la Lorraine, et réintègrent la 3e Armée afin de renforcer les unités de forteresse de la ligne Maginot, aux limites sud du secteur fortifié de Boulay (Moselle).
Le transfert du 43e R.A.D. s’effectue par train les 26-27 décembre 1939. L’unité qui débarque et cantonne tout d’abord au sud-ouest de Metz, occupe à partir du 4 janvier 1940 des positions de repli à l’arrière de la ligne de défense fortifiée (sous-secteur de Narbéfontaine, Moselle). Ce séjour est particulièrement marqué par le froid avec des températures atteignant -20°, qui contrarient le mouvement des convois hippomobiles sur des routes gelées, et favorisent la multiplication des états grippaux au sein de l’unité.
Seules deux batteries issues du 43e R.A.D. et une du 243e R.A.L.D. sont intégrées au Détachement Avancé de Soutien placé à une dizaine de kilomètres en avant de la ligne Maginot et dont le P.C. est installé au château de Varsberg à 6 km au sud-ouest de Creutzwald (Moselle). Les unités d’artillerie du D.A.S. émanent par rotation des différents groupes régimentaires et participent aux missions d’observation et de harcèlement des unités allemandes tout en soutenant l’action de deux bataillons d’infanterie de la 6e D.I. issus par roulement des rangs des 36e, 74e et 119e R.I. Déployés dans la forêt de la Houve et dans la ville de Creutzwald, ils mènent des missions d’exploration des lisières de la forêt de Warndt au sud d’Überherrn (Sarre), afin de repérer les positions allemandes le long de la frontière.
La 3e batterie est tout au long du mois de janvier placée en position de repli à Hallering, à 25 km à l’est de Metz, où elle prend position sur les hauteurs à 500 m au nord du village. Au regard du calme régnant sur le secteur, Raymond Leconte est requis comme inspecteur à l’examen du permis de conduire des chauffeurs de la division qui se déroule sur près d’une semaine à Villers-Stoncourt, où sont installés les échelons et à Bionville, où cantonne le Service Divisionnaire de Santé.
Positions de la 3e batterie du 43e R.A.D. dans le secteur du Boulay (Moselle) :
position de repli à Hallering et positions de D.A.S. (emplacement des batteries :
A position normale à Ham ; B à Guerting ; C Grüenhof à Porcelette ; G Canada à Ham ;
observatoires : 315 à Ham ; Neüland à Creutzwald ) en vert, les principaux objectifs de tirs.
(Fond de carte Ign-Geoportail)
La 3e batterie du 43e R.A.D. intègre le D.A.S. le 4 février et quitte alors Hallering pour prendre position à Ham-sous-Varsberg, où sa montée en ligne s’associe à une intense activité. Dès son entrée en secteur, les tirs sont quotidiens avec comme objectifs principaux le Buchenstauden, les bureaux de douane de Schmiedhof, les hameaux de Mahrof et de Sabelkaul, avec une moyenne de 45 coups tirés par jour en territoire ennemi. La batterie reçoit le baptême du feu le 9 février 1940, mais les ripostes ennemies sont sans gravité pour l’unité, aucune perte n’étant à signaler parmi les hommes durant cette montée en ligne de 45 jours au cours desquels elle aura effectué plus de 2 000 tirs.
Le 17 mars, lorsqu’à lieu la relève par l’artillerie de la 26e D.I. (36e R.A.D.), les unités de la 6e D.I. se retirent à l’ouest de la Moselle franchie par le 1er groupe du 43e R.A.D. le 20 mars à Ars-sur-Moselle, pour bénéficier d’une période de repos en Woëvre au sud-est de Verdun.
-Sur le secteur du Boulay, voir la page correspondante sur le site Wikimaginot.
-Cartographie des ouvrages de défense du secteur, voir la page correspondante sur le site Wikimaginot.
Repos en Woëvre (Meuse), 20 mars 1940 – 9 mai 1940
Le 21 mars 1940, Raymond Leconte bénéficie d’une permission jusqu’au 2 avril, à l’issue de laquelle il retrouve le 1er groupe du 43e R.A.D. dans la Meuse, en cantonnement à Thillot (état-major, compagnie de ravitaillement et 1ère batterie) et Avillers-Sainte-Croix (2e et 3e batteries). Entre plusieurs périodes d’exercices, s’intercale pour les officiers le 9 avril, une visite du champ de bataille de Verdun.
L’unité est mise en alerte dès le 14 avril, se déplaçant de 15 km au nord pour un nouveau cantonnement à Warq et Gussainville avec instructions du personnel. A compter du 29 avril, l’unité se déplace vers Les Eparges où se déroulent écoles à feu et manœuvres, séjour qui donne lieu à une visite de la butte des Hauts de Meuse et de ses entonnoirs, et à une cérémonie militaire au cimetière du Trottoir. La 6e D.I. s’y prépare enfin à monter en secteur entre Sierk et Apach (Moselle) à compter du 10 mai.
Repos en Woëvre trajets et cantonnements du 43e R.A.D. (Fond de carte Ign Géoportail).
A l’aube du 10 mai 1940, les hommes assistent, au-dessus de Saulx-en-Woëvre (Meuse), aux premiers combats aériens puis à des bombardements du secteur, alors que parviennent les informations concernant l’invasion de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg. Le mouvement de la division initialement prévu est suspendu.
II Bataille de France 10 mai – 21 juin 1940
Suite à l’invasion allemande à travers les Ardennes engagée le 10 mai, la 6e D.I. est mise à disposition de la 2e armée afin de renforcer les unités du 18e corps, positionnées à l’est de Montmédy (Meuse). Ces dernières ont dès lors en charge de contrecarrer la progression des unités de la 16e armée allemande qui cherche à prendre à revers les fortifications de la ligne Maginot.
Le compte-rendu des trois semaines de combats qu’en fait Raymond Leconte, se décompose, après le difficile trajet de montée en ligne (70 km parcourus en 6 jours), en deux phases principales, suivant les prises de position successives de sa batterie tout d’abord à Stenay, face à Inor (17-22 mai), puis à l’ouest de la Meuse (23 mai-10 juin), à Beaufort-en-Argonne et Belval-Bois-des-Dames (Ardennes), d’où s’engage finalement le repli, ordonné alors qu’aucun recul n’a été enregistré. La Bataille de France s’achève enfin, après un long périple de 150 km parcourus en dix jours, par la reddition de l’unité le 21 juin au sud de Toul.
Bataille de France, prises de positions de la 3e batterie du 43e RAD 16/05 – 10/06/1940
(Fond de carte Ign Géoportail)
Si le corps du récit restitue au jour le jour le déroulé des opérations de sa batterie (AD14 151J/5 n°037a - 151J/5 n°049a) à la fin de son carnet, il propose une synthèse des évènements sous la forme d'un shéma de l'ordre de bataille du 13 mai au 15 juin (AD14 151J/5 n°077b). Notons que celui-ci, réalisé avec les informations partielles qu'un commandant de batterie a à sa disposition, nécessite une analyse critique, notamment vis à vis de l'identification des troupes allemandes engagées face aux unités françaises.
Synthèse des opérations dans lesquelles la 6e D.I. est engagée du 13 mai au 15 juin 1940
Schéma d'ordre de bataille AD14 151J/5 n°077b
-Michel Baudier, José Bouchez Les combats de Stonne - Tannay - Oches - Sommauthe du 14 mai au 11 juin 1940. Fieulaine, Association Ardennes 1940 à ceux qui ont résisté éd., 1997.
Montée en ligne 10-16 mai 1940
Le mouvement vers le front s’engage dès le 11 juin et s’effectue durant cinq jours par route, en étapes via la Ville-en-Woëvre, Etain, Damvillers (Meuse), en plein jour, sous le feu de l’aviation allemande, l’infanterie de la 6e D.I. étant transportée par plusieurs centaines d’autobus au milieu d’un flot continu de réfugiés Luxembourgeois.
« Cette fois-ci c’est le grand feu. Finie la guerre de blocus qui devait suffire à nous faire gagner la guerre ! »
L’itinéraire se poursuit sur la rive orientale de la Meuse via Dun-sur-Meuse, la 6e D.I. apportant son renfort à la 3e division nord-africaine, dont l’aile gauche vient d’être enfoncée à l’est d’Autréville-Saint-Lambert (Meuse). A l’approche du front, à Lion-devant-Dun, la 3e batterie bombardée, déplore le 16 mai ses premières pertes : maréchaux des logis Bisson tué, Marie mortellement blessé, Rousselin grièvement blessé.
Combats à Stenay face à Inor (Meuse), 17-22 mai 1940
A l’aube du 17 mai, la batterie prend position à la lisière du bois de Bronelle situé au N.E. de Stenay (Meuse) et s’engage alors dans les violents combats pour la défense d’Inor (Meuse) auxquels participent les 43e R.A.D. et 243e R.A.L.D. Ils accompagnent notamment les offensives des 36e et 74e R.I. qui subissent de très lourdes pertes. Le 20 mai, la 3e batterie enregistre la mort du servant Dugépéroux, le maréchal des logis Brénugat étant grièvement blessé. Au soir du 22 mai, la relève du 43e R.A.D. par le 6e Régiment d’Artillerie Nord-Africain, s’effectue néanmoins dans de bonnes conditions.
Combats d’Inor (Meuse) du 17 au 22 mai 1940 (Source : www.ardennes1940aceuxquiontresiste.org)
Le 243e R.A.L.D. en position près de Stenay (Meuse), secteur 2e armée, 20/05/1940.
(Source Images défense)
Combats, secteurs de Beaufort-en-Argonne et Belval-Bois-des-Dames (Ardennes), 22 mai - 10 juin 1940
Le 22 mai, la 6e D.I. quitte l’enfer d’Inor pour s’intégrer au dispositif de résistance à l’ouest de la Meuse (secteur de Belval-Bois-des-Dames, Ardennes). La 3e batterie du 43e R.A.D. passe ainsi la Meuse à Stenay sur un pont de bateaux pour prendre position du 23 mai au 1er juin 1940 au Nord-Est de Beaufort-en-Argonne (Meuse), le 1er groupe du 43e R.A.D. étant intégré au groupement d’artillerie constitué pour soutenir la 1ere division d’infanterie coloniale. La batterie, en liaison avec le 3e Régiment d’Infanterie Coloniale, tire quotidiennement une centaine de coups, tirs de concentration et de harcèlement, les répliques ennemies tuant le 28 mai, le lieutenant Motte et blessant le capitaine Moreau et le maréchal des Logis Fauvel de la 2e batterie.
Le 2 juin, relevé par le 23e régiment d’artillerie colonial, le 1er groupe du 43e R.A.D. se déplace dans les bois proches de la ferme Bellevue à Fossé (Ardennes), rejoignant les deux autres groupes du régiment placés derrière la 6e D.I. qui s’est déployée depuis le 25 mai, au nord Sommauthe (Ardennes) immédiatement à gauche de la 1ere D.I.C. L’intensité des tirs quotidiens (tirs anti-préparation et d’arrêt) s’accroit allant jusqu’à 300 coups en une seule journée les 4 et 6 juin, mais le 9, l’ordre est donné d’économiser les munitions.
Le lendemain, alors qu’aucun recul n’a été enregistré, est reçu l’ordre de repli général qui s’effectue de nuit vers Bayonville (Ardennes) : « Stupéfaction ! » ; « Nous marchons en doublant constamment nos régiments d’infanterie qui se replient sans comprendre.»
Secteur de Belval du 28/05 au 10/06/1940 (Source : www.ardennes1940aceuxquiontresiste.org)
-Michel Baudier, José BouchezLes combats de Stonne - Tannay - Oches - Sommauthe du 14 mai au 11 juin 1940. Fieulaine, Association Ardennes 1940 à ceux qui ont résisté éd., 1997.
Repli et reddition, 10-21 juin 1940
Le décrochement qui s’engage la nuit du 10 juin va se poursuivre 10 jours, suivant un itinéraire de plus de 150 km vers le sud, constitué tout d’abord d’étapes de nuit sur des routes embouteillées par des files interminables de convois, à la lueur des fusées éclairantes des avions d’observation ennemis. Au lever du jour, les pièces d’artillerie s’abritent dans des bois et sont mises en position pour couvrir l’infanterie talonnée par l’ennemi. Intercalées dans la colonne et par rotation, les unités d'artillerie décrochent les dernières, remontant le convoi pour prendre une nouvelle position reconnue au préalable par les officiers et ce jusqu’au passage des derniers fantassins.
A partir du 14 juin, la pression s’accentue, les déplacements s’effectuant dès lors de jour comme de nuit suivant ordres et contrordres, mais avec comme objectif le franchissement de la Meuse qui est passée à Sampigny (Meuse) au soir du 16 juin, les ponts ayant été minés, sautent immédiatement après le passage des batteries.
Dans les jours suivants, la pression des troupes allemandes ne se relâche pourtant pas. Le 18 juin dans le haut de Saint-Germain-sur-Meuse (Meuse), le 1er groupe du 43e R.A.D., tire désormais à vue sur l’ennemi qui réplique violemment, provoquant de lourdes pertes à la 3e batterie : le canonnier conducteur Damoville, tué ; le lieutenant Boitet, mort des suites de ses blessures ; l’adjudant-chef Wetterwald, le téléphoniste Declomesnil et le médecin auxiliaire Sahier blessés. Lors du décrochage, marmitage sur la route, le cycliste de la 1ère batterie est tué.
Itinéraire de repli de la 3e batterie du 43e R.A.D.10-21/06/1940,
en rouge, les prises de position en soutien des unités d’infanterie
(Fond de carte Ign Géoportail)
Schéma des opérations du 21e CA du 23/05 au 21/06/1940.
Journal de Raymond Leconte (AD14 151J/5 n°80)
Le mercredi 19 juin, lors du bivouac dans le bois d’Allain (Meurthe-et-Moselle), le brigadier Boucher est blessé par une balle, l’adjudant Germain Duron et le conducteur Buisson sont blessés par accident et évacués ; L’après-midi, alors que la batterie accompagnée d’une pièce du 243e R.A.L.D. mise en position anti-char tirent 800 coups, le téléphoniste Rouault de la 2e batterie est tué.
Nouveau décrochage en fin de journée et arrivée vers minuit à Viterne (Meurthe-et-Moselle). Le bivouac s’effectue dans le bois du Fey où se regroupent le 20 juin plusieurs unités d’artillerie. La progression est désormais contrariée par l’effet d’étau mis en oeuvre par les unités allemandes de la 16e armée lancée à leur poursuite à l’ouest, et à l’est, par la 1ère armée qui, venant de percer la ligne Maginot, est entrée le 18 juin à Nancy, Epinal et Belfort.
Le lendemain 21 juin, les troupes sont entièrement encerclées et c’est la reddition après qu’aient été détruites les pièces d’artillerie en position à la lisière du bois du Fey à Viterne, devant Germigny.
« Vers 19h les Allemands arrivent sur la route. C’est fini ! je démolis les canons : nous sommes prisonniers ! »
Situation du 1er groupe du 43e R.A.D. lors de la reddition (fond de carte Ign Géoportail)
Ainsi s’achève pour le 43e R.A.D. et le capitaine Leconte la Bataille de France au cours de laquelle on dénombre, au sein de l’artillerie divisionnaire, une trentaine d’hommes tués ou décédés des suites de leurs blessures, les unités d’infanterie (36e, 74e et 199e RI) étant parallèlement particulièrement éprouvées avec plus de 800 tués.
Le lendemain, le général Flavigny commandant du 21e corps d'armée et du corps d'armée colonial, concentrés à une quinzaine de kilomètres plus au sud sur la colline de Saxon-Sion-Vaudémont, est fait prisonnier après avoir négocié la veille une convention de cesser le feu avec le général Hube, commandant la 16e I.D. allemande.
III Détention, 22 juin - 31 décembre 1940
La convention d’armistice signée entre la France et l’Allemagne le 22 juin 1940, prévoit que les prisonniers de guerre resteront en captivité jusqu'à la signature d'un traité de paix. S’ouvre alors pour Raymond Leconte une longue période d’internement. Séparé de ses hommes au lendemain de sa capture, il fait partie des officiers regroupés à Nancy au sein du Lycée Poincaré et qui sont transférés en Allemagne dès le 29 juillet 1940 vers l’Oflag VI A (Westphalie) où il est détenu durant une année. Si le carnet s’achève à la date du 31 décembre 1940, nous devons souligner que la suite du récit, qui se prolonge jusqu’à sa libération et son retour à Caen, le 17 août 1941, est également conservée au sein du lot déposé par la famille Leconte aux Archives départementales du Calvados.
Détention à Nancy, 22 juin – 29 juillet 1940
Dès le 22 juin, les prisonniers sont rassemblés à Cintrey (Meurthe-et-Moselle) où hommes et sous-officiers sont séparés de leurs adjudants et officiers. Dirigés vers Nancy, les premiers y sont conduits à pied, les seconds en camion. Les officiers, parvenus à la caserne Molitor sont peu après transférés vers l’Ecole professionnelle. Le lendemain ils gagnent l’Ecole primaire supérieure et enfin, le 24 juin cantonnent au Lycée Poincaré où sont regroupés durant quatre semaines des officiers de toutes unités, mais aussi des hommes du rang (ordonnances, cuisiniers…).
Le Lycée Poincaré, 2 rue de la Visitation à Nancy, extrait du Livre des centenaires,
édité à l’occasion du 150e anniversaire de la fondation de l’institution (1954).
(coll. verney-grandeguerre)
Seule une vingtaine d’officiers du 43e R.A.D. y séjournent parmi lesquels deux officiers supérieurs : le lieutenant-colonel Debroise, commandant le régiment et le commandant Stievenard du 1er groupe. D’autres officiers sont en effet parallèlement détenus à la Chartreuse de Bosserville à Art-sur-Meurthe (ces derniers seront ensuite dirigés vers l'Oflag VI D de Münster).
Ces camps de transit ne donnent pas lieu à un regroupement par unité, à l’opposé, les aspirants et adjudants du lycée Poincaré partent le 28 juin vers un nouveau camp (les aspirants étant plus tard dirigés vers le Stalag I A près de Stablack en Prusse orientale), les officiers des Ponts-et-chaussées étant plus tard réquisitionnés, les alsaciens et lorrains mosellans libérés.
L’état d’esprit des prisonniers est marqué par les incertitudes quant à leur avenir, réalisant progressivement les conséquences de la défaite alors que l’Angleterre poursuit le combat et ce, au gré d’informations contradictoires émanant de la radio et d’une presse quotidienne sous contrôle. Au sein du cantonnement, circule ainsi régulièrement le Neue Metzer Zeitung, quotidien bilingue français-allemand qui paraît partir du 1er juillet 1940, en lieu et place du Républicain Lorrain. Les échanges postaux, totalement interrompus, ne semblent rétablis que dans la seconde partie du mois de juillet, après qu’aient été diffusées aux prisonniers par les autorités allemandes, des cartes imprimées destinées à faire connaître à leurs familles leur lieu de détention. Raymond Leconte ne reçoit ainsi une première lettre de son épouse que le 27 juillet.
Les conditions de détention sont assez précaires au sein du vaste Lycée Poincaré qui n’est que très sommairement aménagé, les dortoirs sont installés dans les salles de classe avec seulement un peu de paille sur les parquets comme couchage et « il faut s’habituer à manger peu ». Les autorités allemandes prises quelque peu au dépourvu, font tout d’abord preuve de mansuétude, les prisonniers qui peuvent communiquer avec l’extérieur par les innombrables fenêtres, bénéficient d’autorisations de visite et même de sortie afin d’effectuer quelques ravitaillements en ville, tant en nourriture qu’en effets personnels. Néanmoins rapidement, suite à plusieurs évasions et incidents de discipline, le régime de détention se durcit et les contrôles sont renforcés. Raymond Leconte ne peut ainsi entrer en contact avec un couple de Nancéens amis de sa famille, alors qu’un jeune sous-lieutenant du 43e R.A.D. bénéficie, le 26 juillet, mais après six jours d’attente, d’une autorisation de sortie lui permettant de rencontrer son intrépide épouse, venue de Caen en train à sa recherche.
Malgré les privations, une vie culturelle semble progressivement s’organier au sein du lycée, l’accès aux livres de la bibliothèque sont permis mais avec de nombreuses restrictions (livres d’histoire et romans sont interdits), une chorale laïque est créée. Alors que l’aumônerie militaire assure le service religieux, un véritable cercle catholique se forme autour des prédications d’un père Dominicain de Lille lieutenant d’artillerie, André Bonduelle, qui organise à partir du 23 juillet un cycle de conférences quotidiennes sur les béatitudes.
Celles-ci sont brutalement interrompues le 28 juillet, par l’annonce de la dissolution du camp et le transfert des prisonniers dès le lendemain vers un nouveau lieu de détention au sein duquel, le R.P. Bonduelle reprendra son activité.
Détention oflag VI A, Soest (Westphalie, Allemagne), 30 juillet – 31 décembre 1940
Le 29 juillet, les prisonniers du Lycée Poincaré quittent Nancy à l’exclusion des médecins, des juifs et des bretons pour une destination inconnue. Le lieutenant-colonel Debroise commandant le 43e R.A.D., originaire de Nantes se déclarant Breton, est alors définitivement séparé de ses officiers. Le voyage en train vers l’Allemagne s’effectue en wagon de 3e classe et dure près de 30 heures. Il s’achève à Soest (Westphalie) dans l’Oflag VI, aménagé dans une caserne en construction où sont déjà détenus des officiers Belges et Hollandais qui quittent le camp respectivement en août et en novembre, rapidement remplacés par d’autres contingents français. Fin septembre 1940 le camp accueille environ 2 400 officiers et hommes d’après les renseignements recueillis par R. Leconte parmi lesquels quatorze officiers du 43e R.A.D. qui sont regroupés dans la même chambre block II chambre n°46, puis n°85, enfin n°84. Il nous apprend également que six autres officiers du 43e R.A.D. sont parallèlement détenus Oflag VI D à Münster (Westphalie, Allemagne).
R. Leconte y poursuit sa relation quotidienne, décrivant les conditions matérielles de sa désormais stricte incarcération. S’il y relate ses occupations, les activités de chambrée y tiennent une place secondaire, le récit étant à l’opposé marqué par l’importance accordée aux activités collectives.
Cachet de contrôle de l’Oflag VIA figurant sur le Journal de guerre de Raymond Leconte (AD14 151J/5 n°082b).
Conservant le sens de l’anecdote, il s’attache tout d’abord à rendre-compte de la situation météorologique du jour et des alertes anti-aériennes nocturnes. Ses activités personnelles se déroulent au rythme des rassemblements quotidiens pour l’appel et de la distribution de maigres repas. Après les opérations d’immatriculation, s'y ajoutent, à un rythme moins soutenu, la distribution régulière d’une solde perçue en marks de camp, la fouille inopinée des chambrées ou des séances imposées d’épouillage et de désinfection des paillasses et des vêtements.
Ses activités intimes se concentrent sur une pratique spirituelle assidue encadrée par un actif groupe des prêtres officiers. Les messes dominicales, tout d’abord célébrées dans le grand hall, se déroulent dès fin août dans les combles du Block I où une chapelle ornée de fresques est rapidement aménagée. L’entretien de ses effets personnels, la quête de nouvelles lunettes ou la gestion de bénins problèmes de santé, simples rhumes ou état fiévreux nécessitant un séjour d’une dizaine de jours à l’infirmerie en septembre, nourrissent parallèlement son récit qui est enrichit par les échanges qu’il entretient avec un nouveau réseau de relations qui se développe progressivement.
Dans cet aspect privé de la narration, la correspondance avec sa famille tient une place prééminente. L’irrégularité, le retard et l’étroite régulation des lettres et des colis dont il détaille scrupuleusement le contenu, constituent un sujet quotidien de préoccupation et de constante irritation, alors qu’il ne dévoile rien de ses activités de vaguemestre de compagnie, fonction qu’il occupe à compter de la fin octobre 1940. Les informations transmises par les courriers ou par le biais de l’hebdomadaire francophone Le Trait d’Union, édité à Berlin sous contrôle des services de la propagande allemande, alimentent la diffusion d’innombrables tuyaux et bruits de couloirs, généralement reçus avec scepticisme mais dont chacun se fait l’écho à l’image de Raymond Leconte tant ils sont porteurs d’espoir.
Fait particulièrement marquant, les activités collectives tiennent une place importante dans l’organisation de ses journées. Il participe ainsi assidument au cycle quotidien des « Conférences » dispensées par un dynamique groupe d’officiers. Du 8 août au 31 décembre 1940, il participe à une centaine de ces réunions qui ponctuent la journée du lundi au vendredi à 9h, 10h, 15h ou 16h. L’instruction religieuse y est toujours présente, mais s’enrichit de thèmes profanes embrassant les domaines les plus divers des sciences, de l’histoire, de la littérature, de l’économie, en se prolongeant jusqu’à des sujets aussi inattendus tels que l’hygiène du cuir chevelu ou l’œnologie.
Les thèmes ordinairement consensuels mènent néanmoins, suite à une altercation, à l’annulation de deux conférences initialement programmées les 5 et 6 novembre 1940, la première sur Proust proposée par Alexis Zousmann (secrétaire général de l’association des officiers de réserve républicains, membre actif de la S.F.I.O), la seconde sur Maurras par Robert Brasillach (rédacteur en chef de « Je suis partout »).
Bien que ne participant pas aux activités sportives et ateliers créatifs (hand-ball, musique et chant, arts graphiques, théâtre…) Raymond Leconte rend compte des concerts, expositions, représentations scéniques ou matchs auxquels il assiste en tant que spectateur, posant avec complaisance en tant que modèle pour un compagnon, artiste amateur, qui présente son portrait à l’exposition du 29 novembre 1940. Enfin, il est également assidu aux rencontres entre « Bas-normands », réunions se déroulant à un rythme bimensuel le dimanche en début d’après-midi.
Le récit constitue ainsi une véritable éphéméride de la vie de camp, éclairant parfaitement l’état d’esprit général qui règne au sein de l’Oflag VI A, d’août à décembre 1940, parallèlement illustré par les recensions publiées en 1941 et 1943 à l’initiative de personnalités, parmi les plus actives de l’Université de Soest (Marc Blancpain, le père André Bonduelle, l’abbé René Vieillard).
-Oflag VI A, raconté par Marc Blancpain vu par Morel Fatio. Wuppertal-Elberfed M.M.J.H. Boorn, impr., aux dépens des O.P.G., 1941. (ex. n°610/1 800, coll. verney-grandeguerre)
-Une paroisse derrière les barbelés. Textes recueillis par André Bonduelle et René Vieilliard. Paris, Les Editions du Cerf, 1943. (ex. n°835/2 000, coll. verney-grandeguerre)
-Sur l’Oflag VI A de Soest, voir le site de l'atelier historique de la chapelle françasie de Soest
-DURAND Yves, La captivité. Histoire des prisonniers de guerre français 1939-1945. Paris, Fédération nationale des Combattants Prisonniers de Guerre et Combattant d’Algérie, Tunisie, Maroc éd., 1982 (3e édition).
Note d'avertissement concernant la retranscription du Journal
de Raymond Leconte, capitaine réserve au 43e RAD (1939-1940)
La retranscription du manuscrit accessible ci-dessous, n’a donné lieu à aucune correction orthographique ou grammaticale. Pour le rétablissement de l’orthographe des patronymes et des noms de lieux, nous renvoyons aux index correspondants dans lesquels les occurrences ont fait l’objet d’une vérification sourcée et sont enrichies de toutes les précisions qu’il nous a été possible d’apporter, afin que ces répertoires puissent être utilisés comme de véritables outils de contextualisation.
Dans le corps du texte, nous avons néanmoins procédé à deux types de corrections d’ordre typographique. La première consiste à l’établissement d’une ponctuation destinée à faciliter la lecture, la seconde concerne l’homogénéisation typographique des abréviations et sigles militaires ce qui a permis de constituer un index simplifié destiné à en cerner la signification.
La retranscription est précédée de la référence à la page numérisée du carnet original, un lien renvoyant au site des Archives départementales du Calvados permettant une consultation en parallèle.
Cette référence permet également une navigation rapide au sein de la retranscription en utilisant la touche "recherche" du clavier (crt+F) qui permet également d'accéder à toute occurrence particulière, tant dans le corps du texte que dans les index des noms de personnes et de lieux.
Index des abréviations militaires